
Proche de la lévitation, une CEDH « hors sol » condamne la France pour l’expulsion d’un terroriste algérien
Par François Braize, inspecteur général honoraire des affaires culturelles, Jean Pétrilli, ancien avocat, et Bruno Bertrand, magistrat
Un citoyen algérien condamné en France à 7 ans de prison en 2006 pour des faits en lien avec le terrorisme, avec interdiction judiciaire de rester en France à sa sortie de détention, a réussi par diverses voies de droit à se maintenir sur le territoire national, puis à faire condamner la France le 1er février 2018 par la CEDH (5ème Section) pour l’avoir mis, in fine, le 20 février 2015, dans un avion à destination de l’Algérie, le pays de sa nationalité.
La France a procédé à cette expulsion le 20 février 2015 alors que, débouté du droit d’asile par l’OFPRA le 17 février , l’intéressé avait saisi la CEDH d’une nouvelle demande de mesures de protection contre une mesure d’éloignement réputée, par lui, dangereuse pour sa personne. Il fut ainsi éloigné vers l’Algérie dès le 20 février alors que la Cour, le même jour, demandait à la France de ne pas le faire avant le 25 février, le temps de statuer sur sa requête. Mais la demande de sursoir formulée par la Cour parvint à la police des frontières alors que les portes de l’avion étaient fermées et que celui-ci décollait…
Sans entrer dans des détails juridiques et procéduraux inutiles à la problématique fondamentale de cette affaire, cette dernière nous pose deux questions essentielles et appelle une réaction déterminée de notre pays.
Deux questions fondamentales se trouvent posées par la décision de la CEDH
La France est condamnée d’une part pour violation de l’article 3 de la convention européenne qui interdit la torture, les peines ou traitements inhumains ou dégradants et, d’autre part, pour violation de l’article 34 de la convention relatif au droit de requête individuelle. Cet arrêt du 1er février 2018 (M.A. c. France) fait suite à une autre décision de la CEDH du 9 janvier 2018 (X. c. Suède) et ces deux décisions semblent instaurer, à l’opposé de la jurisprudence habituelle, une « présomption de pays non sûr », qui apparaît « hors sol » au regard du contexte du terrorisme en Europe.
La condamnation est certes purement formelle car sans indemnisation autre que les dépens, mais elle est néanmoins extrêmement critiquable.
1-1. La protection de l’article 3 de la Convention européenne est-elle due à un terroriste condamné de manière définitive par la justice d’un pays démocratique à quitter son territoire ?
Sous une apparence provocatrice et même incongrue au regard du champ des droits humains qui peut apparaître désormais sans limite, cette question n’est pas néanmoins insensée. On rappellera d’abord que la Cour européenne des droits de l’Homme a refusé à un parti islamiste turc, qui prônait l’instauration de l’islam politique et de la charia au besoin par la violence et qui avait été dissous dans son pays, la protection de la Convention car, a-t-elle considéré, on ne peut demander la protection des valeurs démocratiques et des principes fondamentaux que l’on récuse. Exit donc la demande de ce parti.
Comment donc refuser la protection CEDH à un parti qui prône par l’action politique l’instauration de l’islam radical et de la charia et l’octroyer à ceux là même qui mettent en œuvre, là pour de vrai dira-t-on, les mêmes objectifs par la violence et les armes à la main ? Etonnant. Telle est pourtant la position de la CEDH qui semble résulter depuis 2008 d’une décision de Grande Chambre (Saadi c/ Italie 28 février 2008 §147) qui érige en principe absolu la protection des personnes physiques contre les risques mentionnés à l’article 3 de la convention . Toutefois, l’arrêt Saadi ne concerne pas le cas d’un individu jugé et condamné pour des faits de terrorisme, mais de droit commun (trafic, faux et recel).
Il ne s’agira pas pour notre pays de refuser par principe la protection de la CEDH à tout individu suspecté ou condamné pour actes terroristes, tout comme on ne peut refuser à qui que ce soit le droit à un procès équitable et celui d’y être défendu. Il s’agira de subordonner toute décision de protection à un examen approfondi et serré des situations, tant celle de l’individu concerné que celle du pays de retour et des risques réels qu’il y encourt et de ne pas s’en tenir à des considérations et assertions générales ou, encore moins, à une sorte de « présomption de pays non sûr ». Nous ne pouvons souhaiter voir les terroristes bénéficier d’un tel système de présomption et sommes en droit d’exiger que la réalité de la menace résultant pour eux de leur retour dans leur pays (où ils peuvent aussi être appelés à être jugés notamment, comme en l’espèce, pour des faits de terrorisme) soit démontrée au cas par cas .
1-2. La seconde question qui se trouve posée est de bon sens plus que juridique
Comment la CEDH peut-elle retenir la violation de l’article 3 alors que sur les mêmes faits et le même pays l’Algérie, et selon le même principe protecteur, l’OFPRA a refusé le droit d’asile au prix, lui, d’un examen serré ? Le même objectif humaniste – protéger ceux qui pourraient être menacés dans leur intégrité physique par un retour dans leur pays, ce à quoi on ne peut qu’adhérer – aboutit, sur un même cas d’espèce et en quelques heures, à deux décisions diamétralement opposées. Nous avons donc avec cette décision de la CEDH une difficulté dont pourraient profiter d’autres terroristes islamistes étrangers sur notre sol. Il convient donc de vider cet abcès.
Il faut donc sur le terrain du bon sens aussi que, sans hésiter, la France utilise elle aussi les voies de recours que lui offre le droit et qu’elle ne soit pas plus niaise que ses ennemis. Il est impératif que la France fasse remonter l’affaire en Grande Chambre de la Cour.
Il ne s’agira donc pas de demander à la CEDH d’infliger aux personnes physiques condamnées comme terroristes une exclusion de principe de la protection de la convention (même si ces individus en récusent les valeurs fondamentales), exclusion du type de celle que la CEDH a infligé à un parti politique islamiste. En revanche, notre pays sera fondé à demander, selon le raisonnement exposé par la juge O’Leary dans son opinion dissidente sur l’arrêt, que la Cour, s’agissant d’un individu condamné pour des faits de terrorisme, procède à un examen très approfondi et de sa situation individuelle et de celle du pays de retour, l’Algérie, sans s’en tenir seulement à des considérations générales et datées. En effet, les avis sur lesquels la 5ème Section de la Cour s’est appuyée relèvent plus de pétitions de principe « hors sol » que d’un examen détaillé, actuel et sérieux, tel que doit être celui opéré par un véritable juge.
Faire remonter l’affaire en Grande Chambre serait l’occasion de combattre le système de « présomption de pays non sûr » qui se dessine à la Cour de Strasbourg depuis janvier 2018 et, en même temps, par voie de conséquence de faire reconsidérer la décision de la 5ème Section . Il serait très grave que cela ne soit pas le cas car alors ce terroriste aurait séjour ouvert chez nous contre la décision de notre juge national .
L’option qui sera choisie par la CEDH suite à la demande de la France lui donnera sa couleur : soit celle du juge de réalités démontrées (ou pas) par les requérants, soit celle du juge « hors sol » d’une « présomption de pays non sûr » par trop favorable à certains terroristes et, sans aucun doute possible, perçue comme telle par l’opinion publique… tant il appartient éminemment aux juges, y compris de la CEDH, de protéger aussi nos concitoyens.
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