Une page d’histoire Cardinaux1925 2
L’église catholique a-t-elle accepté la séparation depuis la loi du 9 décembre 1905 ?
Dans l’histoire du combat laïque en France de nombreuses fausses vérités circulent dont une qui a la vie dure : l‘église catholique aurait accepté la séparation du religieux et du politique instaurée par la loi du 9 décembre 1905.
Outre le fait qu’elle fut dès le départ contestée , il est un épisode totalement oublié dont les conséquences se font aujourd’hui encore ressentir et qui mérite que nous nous y intéressions grandement.
Remontons le temps.1924, le 11 mai le « Cartel des gauches » remportait les élections. Dans son programme, entre autres, la question de la laïcité : rupture des relations diplomatiques avec le Vatican, expulsions des congrégations et extension du régime de la séparation en Alsace et Moselle.
La hiérarchie catholique française y voyant un grand danger pour ses intérêts décidait de s’opposer à l‘adoption de ces mesures.
Au risque d’une nouvelle crise dans la société française, qui cicatrisait péniblement les blessures du désastre de la 1ère guerre mondiale, elle publiait le 10 mars 1925 la « Déclaration de l’Assemblée des Cardinaux et Archevêques de France sur les loi dites de laïcité et sur les mesures pour les combattre » … Au regard de son contenu et sans esprit de polémique, cette déclaration pouvait être qualifiée de déclaration de guerre contre le « Cartel des gauches », contre la République !
En effet les lois de la laïcité étaient qualifiées « d’injustes parce que contraire aux droits formels de Dieu ».Elles étaient accusées d’être des lois athées contribuant à l’infuser dans notre société à tous les niveaux individuel, familial, social, politique jusqu’au niveau international… Les valeurs de « liberté, solidarité, humanité, science devenaient « les nouvelles idoles » substituées au vrai Dieu et qualifiées d’injustes parce que contraires aux intérêt spirituels et temporels de l’église ! Un petit couplet sur la loi scolaire qui enlèverait « aux parents la liberté qui leur appartient et les oblige à payer deux impôts ». Un avant goût des manoeuvres sur la question scolaire qui ressurgiront dès l’avènement du pétainisme …
Etaient également remises en cause la loi du divorce, accusée de tous les maux jusqu’à encourager l’adultère, la laïcisation des hôpitaux qui privait les malades « de ces soins dévoués et désintéressés que la religion seule inspire ».
Ils allaient même jusqu’à également attaquer les fondements de l’état de droit en écrivant que les lois de la laïcité étaient « que des corruptions de la loi, des violences plutôt que des lois dit saint Thomas ». Ces lois étant qualifiées comme contraire aux intérêts de Dieu et son Christ, pour sauver nos âmes « il ne nous est pas permis de leur obéir, nous avons le droit et le devoir de les combattre et d’en exiger, par tous les moyens honnêtes, l’abrogation ».
Ces « moyens honnêtes » étaient présentés comme ce que nous qualifierions aujourd’hui du lobbying ! En effet ils visaient à agir à trois niveaux : opinion publique, législateur, gouvernement.
L’action sur l’opinion publique était de discréditer par tous les moyens les acquis de la laïcité dans notre société : neutralité mensongère de l’Etat (considérée comme impossible), condamnation de la laïcité de l’enseignement divorce spoliation de la séparation, de l’athéisme d’Etat (institutions domestiques, sociales, charitables politiques).Une société laïcisée était présentée comme néfaste par rapport aux bienfaits que les règles et institutions catholiques apportaient à la société française. Cet immuable ce procès de l’église fait à une société sans dieu, forcément, immorale. Antienne que nous entendons encore aujourd’hui !
L’action sur le législateur partait du principe que les lois n’étaient pas intangibles et de dénoncer l’équation qui consistait à assimiler les lois sur la laïcité à la République. Les cardinaux en appelaient à ce que nous dénommons aujourd’hui « la désobéissance civile ». Les catholiques « devront toujours combattre le laïcisme quel que soit le régime, régime monarchique ou républicain ». Ils ne leur étaient « pas permis de prêter leurs concours aux mesures injustes ou impies que prennent les gouvernements ».Ils doivent se rappeler « que la politique étant une partie de la morale, est soumise comme la morale, à la raison, à la religion, à Dieu ». En somme les lois de Dieu au-dessus de celles de la République… Les publicistes et conférenciers avaient dans ce but leur rôle à jouer. N’est ce pas là la forme de ce que nous appelons l’entrisme dans l’enseignement supérieur ?
L’action sur le législateur passait par l’organisation de manifestations de foules pour montrer la puissance de l’église, des pétitions initiées par toutes les associations et oeuvres catholiques (groupements des pères de familles, anciens combattants, jeunesse catholique, veuves de guerre, cheminots en passant par des personnalités les plus considérables de la banque et de l’industrie, du commerce …) adressées localement à tous les élus ( députés et sénateurs) .
Le dernier niveau celui du gouvernement les cardinaux préconisaient de s’inspirer des méthodes socialistes, communistes, fonctionnaires, ouvriers etc.. Il était d’interpeller le pouvoir par divers moyens d’actions à tous les niveaux des structures de la République : mairies, préfectures, Parlement pour s’opposer aux lois qui nous mènent « du laïcisme au paganisme » . Rien que çà !
Les cardinaux terminent leur déclaration en proclamant : « jamais peut être, depuis cinquante ans, l’heure n’a paru aussi propice ; à la laisser passer sans en profiter, il semble bien que nous trahissons la Providence ».
Il s’en suivit des agitations diverses dans de nombreuses villes mais aussi la division du camp républicain avec les « néo républicains » qui militaient pour son abandon au nom de la paix religieuse. La trahison se paraît de l’étendard de la « concorde nationale ». Le Cabinet E. Herriot fut renversé et remplacé par le Ministre Painlevé, le 21 avril 1925, il s’en suivi l’abandon du programme laïque du Cartel. La loi Républicaine ne serait pas appliquée dans ces deux départements. Ce statut concordataire depuis empoisonne la vie politique de notre pays et constitue même une menace par les idées néfastes d’extension qu’il suscite chez certains élus cléricaux!
Cette déclaration des cardinaux devait être le carnet de route de l’église catholique pour la reconquête des privilèges qu’elle avait perdus avec la loi de séparation.
Les premières attaques intervinrent sous le régime de Vichy avec les aides financières accordées aux familles qui confiaient leurs enfants à l’école catholique et la loi du 25 décembre 1942 complétant l’article 19 de la loi du 9/12/1905 autorisant les subventions pour la réparation d’édifices privés affectés au culte public. La deuxième moitié du XX ème siècle fut calamiteuse pour la laïcité dans notre pays .La IV ème mais surtout la Vème Républiques connurent des attaques encore plus violentes et frontales avec chaque fois l’aval des gouvernants, des élus locaux.
Ce carnet de route fut respecté scrupuleusement avec ténacité par l’église qui sut jouer alternativement sur les étendards de la préservation de la paix religieuse, de la paix scolaire alors que c’était elle qui ouvrait à chaque fois les hostilités. Au fil du temps, les élus de la République, à tous les niveaux, dans leur grande majorité reprirent, colportèrent la légende que l’église catholique avait accepté la séparation du politique et du religieux…
Au vu de l’état actuel de la laïcité en France, son berceau, on ne peut s’empêcher de repenser à la déclaration du député radical-socialiste Maurice Allard lors des débats sur la loi de séparation : « Nous combattons donc la religion parce que nous voyons dans la religion le plus grand moyen qui reste entre les mains de la bourgeoisie, entre les mains des capitalistes pour conserver le travailleur dans un état de dépendance économique. Voilà pourquoi nous faisons la guerre à tous les cultes et pourquoi nous en sommes les adversaires les plus acharnés. »…
(Voir le document original de l’Eglise en cliquant sur le lien « Cardinaux 1925 2 » en première ligne de l’article).
Jean PETRILLI